2009 Ma France
...à Mamie-Blue
Juin 2009, comme chaque année je rentre 2 semaines en France me reposer, retrouver ma famille et mes potes à Paris, à Chamonix et à Lyon. Depuis que je suis célibataire de nouveau j’ai été un véritable marathonien des sorties nocturnes à Shanghai, accompagné de quelques potes de cordée chinoise. C’est un peu exténué que j’arrive à l’aéroport de Pudong, une sorte de fatigue phycologique s’ajoutant, en ressentant le changement de rythme arriver à 12 heures de vol de Paris.
A 23h45 je prends place à côté de l’issue de secours pour y allonger mes jambes, j’avale un somnifère et me réveille une fois arrivé à CDG. C’est toujours un pincement au cœur pour moi que de prendre un médoc car c’est volontairement faire une croix sur le survole de visu de mes régions préférées que sont la Mongolie et la Sibérie, de ses 10,000 mètres, le spectacle est à chaque fois saisissant, les rivières larges et majestueuses scintillent au milieu de montagnes de conifères ou de steppes infinies. Scotchée au hublot, ma rétine cherche des traces d’habitations perdues dans cette nature dominante et peu inquiète de la prédominance de l’homme sur les éléments. Mais bon, à poiroter 12 heures je préfère dormir 8 heures d’une traite.
L’arrivée sur le sol français est toujours un moment particulier, mon regard se perd sur le tarmac de l’aéroport, tandis que je tente de filer rapidement vers la gare SNCF d’ou je prendrai un TGV pour Lyon-Part-Dieu. Se faisant et même à Paris, mes poumons s’emplissent de cet air pur français, sans comparaison avec celui moite et pollué de Shanghai la pute. Une fois installé dans mon fauteuil SNCF je m’endors la musique sur les oreilles, laissant défiler cette douce France sous mes yeux encore lourds de sommeil. Tel un marchand de sable, les campagnes du Morvan et de Bourgogne apaisent les turbulences chinoises de mes pensées, je procède alors à mon shift de retour à la vie française.
A Lyon, mon père m’attends à la gare, je retrouve ma mère à notre maison de Collonges, je m’assois dans notre cuisine, entame du reblochon avec une tranche de pain et un coup de rouge, quel bonheur! J’y suis, la France, familiale et apaisée, en cette vieille ville de Lyon, paradoxalement et historiquement étroitement liée à Shanghai.
A 16 heures je saute dans notre Renault Twingo noire pour rendre visite à Mamie-Blue, ma grand-mère maternelle, la dernière de notre famille et de cette génération à être encore en vie. En chemin je me repasse des vieux Cds des Guns & Roses qui me mettent le morale à haut niveau. Mamie-Blue ne vivra pas longtemps, elle a attendu que je revienne de Shanghai, que mon frère Florent arrive d’Argentine, pour sans doute nous voir une dernière fois, je suis émue en la retrouvant, elle me reconnaît aussitôt, assis auprès d’elle je reprends, comme à chaque fois, mes récits de la Chine, de ma vie Shanghaienne, de mes derniers voyages afin pour qu’elle s’évade avec moi quelques instants. J’ai du mal à comprendre ses réponses, depuis 6 mois elle porte un masque d’assistance respiratoire, chacune de ses respiration est désormais devenu un effort. Sa sclérose en plaque semble vouloir l’aider à franchir le cap,…pour partir sereinement.
J’observe Fabienne, son assistante de vie s’afférer autour d’elle, lui apporter de l’eau, lui parler avec douceur et compassion tout en veillant au rythme journalier des heures de repas, de transfert lit-fauteuil etc. J’ai une admiration sans borne pour ces femmes qui accompagnent nos vieux dans leur dernière ligne droite vers la lumière de l’au-delà.
Toute ma jeunesse, mes yeux d’enfants ont côtoyés et respecté cette dame élégante et dévoué à sa famille qu’est Mamie-Blue. Son sourire et ses yeux compatissant font depuis toujours sa force. Elle a beaucoup d’allure et d’humanité. Elle est ma confidente comme celle de bien d’autres personnes de la famille et d’ailleurs.
En reprenant l’ascenseur, je suis triste et heureux à la fois de pouvoir la retrouver, une fois sorti de chez elle, je marche lentement sur le boulevard de la Croix Rousse jusqu'à la voiture, songeur et fatigué.
Je pars le lendemain pour Chamonix, retrouver Vincent, mon compagnon de cordée, notre chalet familiale d’Argentières et cette vallée qui berce mon existence depuis ma tendre enfance. Il n’y a qu’ici, dans le creux de ces montagnes que je me sente réellement chez moi. Tout est pureté, majesté, silence et force de la nature.
Lundi matin je rejoins la plaine du Fayet retrouver Vincent qui me donne rendez-vous à 11 heures dans un champ, je me gare et scrute le ciel pour le voir atterrir 20 mn plus tard, en parapente, atterrissage serein, tout en douceur. Nous déjeunons copieusement et passons le reste de la journée à préparer notre matériel pour l’ascension du Mont-Blanc que nous prévoyons le lendemain.
J’aime être en France, observer les gens, les changements qui s’opèrent dans notre société. La marque Quechua de Décathlon fait un tabac dans la région, tout le monde en porte, les petits comme les grands. Je dépense près de 60 euros dans des barres de céréales pour notre ascension qui va durer plus de 15 heures.
Le soir à table j’assiste à une scène de ménage mémorable entre Vincent et sa femme Sandy ; qui refuse de le laisser prendre sa voile de parapente pour s’envoler du sommet. A cet instant précis, je suis heureux d’être célibataire!...car la savoyarde à sang italien à du tempérament.
Le jour J est là, le temps est optimale, nous déjeunons copieusement à Saint Gervais-Le-Fayet, j’appelle Maman pour lui faire une bise et à 14 heures nous voilà embarqués dans le train qui nous mène au nid d’aigle à plus où moins 2400 mètres d’altitude. Nous retrouvons Patrick Ancey, notre guide, solide gaillard de 53 ans, que dans ma tête je surnommerai La locomotive durant toute l’ascension. Nous démarrons tranquillement pour atteindre depuis le nid d‘aigle le refuge de Tête Rousse, à 3100 mètres. L’air est frais, je découvre la vallée de Chamonix sous un angle totalement neuf, je m’enivre de nos montagnes, de leurs glaciers, de leur air pur…ça me fait un bien fou, je suis comme un coq en patte. Arrivés a 18h30, nous dinons tôt et copieusement, je discute avec un allemand retraité de Berlin qui vient faire l’ascension du toit de l ‘Europe une quinzième fois tout en répondant aux questions de Patrick qui est curieux de mon expérience chinoise et qui lui, comptera sa 110 ascensions du Mont-Blanc!
Couché à 20h30, nous nous réveillons à minuit, fermons nous sac, enfilons nos godasses et partons avec un peu d’avance sur les quelques groupes qui se lèvent en même temps que nous et que nous finirons par bien distancer. La prochaine étape est le refuge de l’Aiguille et pour le moment, encordés, nous franchissons un couloir enneigé assez abrupte pour ensuite attaquer un mur tout en roche jusqu’au refuge. L’escalade se fait à la frontale, ça n’est pas trop fatiguant, je lève les yeux de temps à autre pour observer la grande ourse et la voix lactée, tout est silence et majesté. Nous atteignons le refuge de l’Aiguille, une pause s’impose! Patrick nous demande de mettre les crampons, j’avale deux barres de céréales, 3 gorgées d’Iso-star et nous voilà en route de nouveau, il est 2 heures du matin, pendant 20 minutes nous avançons en terrain plat, je relève le nez de la trace, à cette altitude c’est un autre monde, celui des neiges éternelles, d’un massif unique au monde, toit de l’Europe. En cette nuit de Juillet 2009, le silence est Roi, seul le bruit de nos crampons qui font craquer la neige sous nos pas brisent ce silence. La vallée de Chamonix dort encore, l’horizon se teinte légèrement de rose et au loin nous percevons quelques flashs des lampes frontales des alpinistes partis avant nous depuis le refuge de l’Aiguille, ils atteindront le somment vers 6 heures.
Je souffle comme un buffle et dans la cordée suis encadré par Patrick et Vincent, lorsque j’observe notre ombre défiler lentement sur la neige je constate que je suis systématiquement en « corde tendue » avec Patrick, véritable locomotive dont le rythme de marche demeure constant et ne varie pas d’une seconde. Pour ma part je suis souvent à la traine, demande des mini-poses pour souffler, mais que c’est bon d’en chier! Vincent me talonne, il est devenu un solide montagnard après toutes ces années passées en Haute-Savoie.
Une pose s’impose au refuge Vallot avant le dernier coup du cul jusqu’au sommet. Je bois, mange, pète, pisse durant 10 minutes et nous voilà repartis. Durant les poses Patrick nous accorde peu de temps de relâche, il nous gère très intelligemment. La dernière portion jusqu’au sommet est difficile et crevante, il nous faut en plus relever notre niveau de concentration puisque la trace est étroite, sur une arrête d’un mètre de large tout au plus et même parfois plus resserrée. En croisant un group d’allemands, je plante mes crampons dans la neige pour être certain de ne pas dévisser, je n’ai pas le vertige mais la pente abrupte de chaque cotés de la trace est impressionnante et fatale à quiconque y déraperait.
L’arrivée au sommet n’a rien d’exceptionnelle, cependant vu de la vallée depuis 33 ans j’ai toujours imaginé qu’il était un vaste plateau de plusieurs centaines de mètres carrés mais il n’en est rien, au mieux 100 mètres carrés de neige tassée, mais quelle vue ! Un parapente s’envole à notre arrivée, Vincent contient sa frustration! Nous nous asseyons j’appelle mon père et Aaron, mon beau-frère, pour leur annoncer notre arrivée, les gestes sont plus lents à cette altitude, je prends quelques photos et sors mon drapeau CLASQUIN China pour faire un cliché CLASQUIN China Team Spirit. Nous restons une vingtaine de minutes, à contempler, discuter, peter, bouffer des barres énergisantes et boire pour entamer la descente dans les meilleures dispositions. Pour l’instant nous jouissons d’une vue panoramique sur toute l’Europe, quel pied!
Durant toute ma préparation je ne pensais qu’à l’ascension, j’avais totalement omis la descente et sa difficultés physique car elle nécessite 7 à 8 heures pour couvrir toute la distance jusqu’à la gare de train, autrement dit de 4807 mètres nous descendons à 2400 mètres d’une seule traite. J’en chie comme un russe et arrive effondré à la gare du Nid d’Aigle vers 16 heures, sous un orage de tous les diables et trempé comme une soupe. Je réalise alors que je n’ai pas entamé ma fiole de Whisky au sommet du Mont-Blanc, ce que j‘entreprends dès que nous sommes assis dans notre wagon de retour vers la gare du Fayet.
Arrivé chez lui, Vincent me cuisine un succulent diner puis je m’en retourne à notre chalet familial d’Argentières pour prendre un bain au synthol durant une heure et m’endormir pour 12 longues heures. Du refuge de Tête Rousse jusqu’au retour au nid d’Aigle nous aurons marché près de 17 heures. A l’aube je me lève et prends quelques nouvelles de la Chine depuis mon portable avant de partir déjeuner d’une croute au fromage et son verre de blanc savoyard tout en contemplant le sommet que je gravissais la veille. L’envie de recommencer l’an prochain via une autre voie me prend à cet instant.
Je rentre à Lyon pour retrouver tous mes amis de promotion et fêter les 10 ans de notre diplôme. C’est agréable de revoir des visages familiers que je n’aie plus croisé depuis mes années étudiantes. Je me colle une mine sur le coin de la gueule ce soir la.
Le lendemain c’est chez mes parents que je fête avec une trentaine de potes et ma famille mes 33 ballets. Mes meilleurs potes sont là, même Brice mon compagnon de route de toujours est présent et non englué à Shanghai. Nous buvons du rosé frais et profitons de la piscine durant des heures.
Lundi matin alors que je suis avec des potes, Maman m’appelle en pleure, Mamie-Blue ne va pas bien, elle me réclame. Je quitte notre réunion sur le champ et presse le pas jusqu’au parking de Bellecours pour sauter dans ma voiture, ému, tout en essayant de rester zen. Arrive à la Croix-Rousse je retrouve Maman et Fabienne qui entourent Mamie-Blue, elle est allongée sur son lit, sous un drap blanc, transpirante, la bouche entre-ouverte, je passe un moment à ses cotes, lui dit quelques petites choses que j’ai à lui souffler au coin de l’oreille, lui expliquant qu’elle n’a pas à avoir peur de passer de l’autre cote, qu’il ne s’agit que d’une étape. Je contiens mon émotivité et en même temps suis rassuré pour elle, me disant simplement qu’il faut savoir laisser les anciens passer de l’autre coté.
Les jours qui suivent sont mis à contribution dans la préparation des funérailles de Françoise Salmon dite Mamie-Blue. Ma petite Maman adorée est exemplaire et fait face, dans la force et le calme à toutes les circonstances du moment. Mamie-Blue est le dernier de mes grands-parents à partir.
Le vendredi nous nous retrouvons tous, à 9 heures, dans une chapelle discrète, pieuse et silencieuse de la Croix-Rousse, sombrement vêtus et sous un temps magnifique. Sans raison j’observerai toute cette journée avec un regard étranger, comme si je contemplais une scène de famille italienne. Nos hommes français ont fière allure dans leurs costumes, les femmes malgré la tristesse de l’occasion sont resplendissantes. Nous accompagnons tous Mamie-Blue pour l’enterrer aux cotés de notre grand-père Popey, au cimetière de Bully, en plein Beaujolais, c’est désormais callés entre les pierres jaunes et les vignobles de la région qu’elle reposera pour l’éternité.
Le week-end passe, en famille. Lundi matin je suis installé dans mon vol China-Eastern de retour vers Shanghai. La vie est ainsi faite, les pages se tournent…intensément, joyeusement et tristement, tout en apportant à l’esprit certaines des réponses qui lui procureront l’apaisement ou tout au moins la clarté nécessaire à certaines décisions.
© Ambroise Mathey - Octobre 2009