2009 7 jours au Tibet
Janvier 2009, une crise mondiale frappe les économies développées ou en voie de développement depuis 3 mois, en Chine les ex-ports dégringolent et c’est la grande majorité du principal revenu national de cette dernière décennie qui se voit frappée de plein fouet. Les tensions sociales en Chine, lorsqu’elle passent le filet de la censure, apparaissent ici et là dans la presse ou sur la toile internet. Cette année 2009 commence mal. Elle est aussi l’année des commémorations, du 50ème anniversaire de la première insurrection tibétaine de Mars 1959, du 20ème anniversaire du « Tien An Men étudiant » de Juin 1989 et du 60ème anniversaire de la proclamation de la République Populaire de Chine par Mao Tzedong le 1er Octobre 1959. Le programme sociale chinois s’annonce riche en évènements.
Le nez rivé sur les compteurs et le guidon des affaires de Clasquin, mon employeur français dont je défends les couleurs en Chine, je pense et rêve de temps à autres à ces contrées que l’économie mondiale ne dérange encore pas, aux fins fonds de la Sibérie, à la steppe mongole, au Kamtchatka et surtout au Tibet. Pourquoi occupent-elles mes pensées? Parqu’elles sont encore pures, majestueuses et que ces lieux dégagent une indifférence presque insolente à l’égard du tourbillon médiatique et psychologique qui agite les millions d’individus dont je fait partie, dont les iris suivent les statistiques et les breaking-news de l’économie via CNN et autres laptops interposés.
En 2006 Pékin inaugurait en grandes pompes la première ligne de chemin de fer reliant Lhasa, de son haut plateau, au reste du monde…chinois. Les soit disant défenseurs de la cause tibétaine, et autres altermondialistes ou gauchistes en tout genre s’offusquant et criant leur haine de Pékin. Ils y voient une atteinte à la culture tibétaine et la porte grande ouverte pour la derniere vague colonisatrice et fatale sonnant la fin du Tibet et de son peuple, noyés sous le tsunami Han de la Chine éternelle. Évidemment la réalité est bien différente, sa perspective également et le Tibet n’est pas forcement l’enfer sur terre que certains écrivent à longueur d’articles ou de pages internet. Le plus grave étant que souvent, ceux qui dénonçent ou se disent défenseurs d’une cause noble ne sont jamais, eux même, allés sur place pour voir de leur yeux. Mais passons.
Je propose à Gabriella de partir une semaine au Tibet à l’occasion du Nouvel An chinois. Le 24 Janvier nous quittons Shanghai par – 10 degrés et décollons en direction de Xining dans la Province du Qinghai d’où nous prendrons le train pour Lhasa, à 20h30. Sur internet la veille au soir, Yahoo Meteo annonce –19 degrés à Xining, nous quittons Shanghai habillés tels deux bibundums michelins. Arrivés à Xining nous déjeunons en plein quartier musulman, et nous baladons dans la ville jusqu'à 18h, heure à laquelle nous rejoingons la gare ferroviaire de cette bourgade de l’Ouest chinois. Ici les gens sont particulièrement sympathiques et avenants malgré des manières un peu rustres et lourdes, leur gentillesse à l’égard de l’étranger nous touche. De Shanghai j’ai réservé 2 x tickets Soft Sleepers ce qui nous garanti le meilleur confort à bord de notre wagon, nous avons payé ce voyage au prix fort puisque plus que jamais et en raison des émeutes de Lhasa l’an dernier, le Tibet est une province autonome au statu particulié. Nous avons dû obtenir un permit spécial que la Police Ferroviaire nous demande de présenter à l’entrée de la gare, une fois dans la salle d’attente puis à bord du train un peu plus tard. Pour l’heure Gabriella se repose dans de gros fauteuils en sky beige face à un téléviseur débitant des programmes de jeux TV d’inspiration americaine recausés en chinois. La dame en uniforme discute avec moi, je ne peux éviter le questionnaire classique du « de quel pays es tu ? Oh ton chinois est très bon ! Et elle, c’est ta copine ? ». A l’intérieur il fait un froid de gueu, nous poirotons, la patrouille de militaire en charge de la sécurité de la gare débarque et s’assied à nos côté, nous prenons une photo de groupe, ils sont une dizaine, en uniformes verts, arborant leur grades, leur casquettes PLA (Peoples Liveration Army) drappés de leur grosses parkas militaires kakis à colle fourrure.
J’adore l’ambiance si particulière de cette Chine que Shanghai et Pékin ont perdu tant elles se sont modernisées mais que les provinces éloignées préservent encore bien. Les Santanas WV noires carrées aux vitres teintées sont encore omniprésentes, l’air est sec et acre de poussière de charbon, de nombreuses personnes portent encore le col Mao. Ici plus qu’ailleurs le tout politique centraliste communiste prédomine. Mais non loin et depuis 6 ou 8 ans, le capitalisme charge à toute blinde avec des pancartes publicitaires, des constructions de Shopping-Mall pharaoniques et des enseignes lumineuses un peu partout.
A 19h30 la massive locomotive diesel vert anglais aux lignes jaunes entre en gare suivit de ses wagons. La nuit est tombée, la brise gifle les vitres de notre salle d’attente VIP et nous ne sommes pas autorisés à sortir sur le quai. A 20h les portes sont ouvertes, deux de nos amis soldats insistent pour nous conduire jusqu’à notre cabine à bord du train, nous voilà, Gabriella et moi, escortés par deux uniformes de la PLA, tirant notre valise à roulette jusqu'à notre wagon en partance pour le Tibet.
Le train est plein à 10%, un group de 3 anglais de Pékin sont sur le même Wagon, le reste est vide. Tout est propre, sur la tablette centrale de notre cabine à 4 lits superposés se trouve un bouquet de fleures, une bouilloire et un vide poche en inox frappé du logo de la Compagnie Nationale des trains chinois. Nous dînons dans le wagon restaurant ou sont servis des plats chinois ordinaires néanmoins parfaitement cuisinés. En cette veille de Nouvel An, ça sent le Noël chinois, il y a un air de fête bien que le train soit vide ou sinon occupé par des tibétains, peu nombreux et pour qui comme pour nous, rien de spéciale n’est à célébrer ce jour-la.
A l’aube je lève le nez et entrouvre les rideaux, nous venons de passer par la gare de Goldum, dernier bastion chinois du Qinghai avant d’attaquer l’ascension du plateau tibétain. C’est d’ici qu’il y a 7 ans, Brice et moi étions partis pour Lhasa, clandestinement et en bus pendant près de 40 heures. Désormais le rail se faufile à travers ce paysages de montagnes rocailleuses que la lumière matinale bleuie. Comme à chaque fois, mon regarde est scotché à la vitre, j’observe pendant des heures le paysage défiler, m’imaginant effectuer ce même trajet en vélo ou en side-car et m’interrogeant sur ces hommes et ces femmes qui choisissent de vivre dans des coins aussi
reculés. Ils n'ont certes souvent pas eu d'autre choix!
Après un petit déjeuner au Wagon restaurant, accompagné d’un Nescafé en poudre, nous passons la journée à discuter, écouter de la musique sur mon Ipode et bouquiner. J’avoue que la plupart du temps mon nez est collé sur l’épaisse vitre du wagon. Nous traversons des steppes pelées au milieu de chaînes de montagnes majestueuses et dont l’herbe a jaunis sous les vents cinglants, la neige et la glace du permafrostre. Parfois j’aperçois au loin quelques chevaux sauvages, des antilopes tibétaines, des troupeaux de yacks ou de moutons gardés par leur berger. Ici l’espace est roi, des vents tourbillonnent soulevant du sable et des poussières que le gèle n’a pas figé au sol, dans un rayon de soleil sur fond de nuages bas gris anthracite chargés de pluies neigeuses. Saisit par le spectacle, je ressens un peu l’altitude. La plateau est a une moyenne de 4 a 5,000 mètres, plus tard durant quelques minutes le compteur digital du wagon indiquera 5,178 mètres !
Nous débarquons à Lhasa dans une gare flambant neuve et gigantesque, à l’architecture grossièrement tibétaine. L’édifice mérite tout de même le détour. Tenzin notre guide tibétain nous attend accompagné du chauffeur, Mr Wang. Nous sommes bénis de la traditionnelle écharpe blanche de soie luisante et partons vers notre hôtel. Je suis un peu ému, revenir au Tibet c’est pour moi comme retourner à Lourdes pour la deuxième fois.
Il est 22h30 pas un restaurant n’est ouvert, Gabriella a faim, nous partons arpenter le Barkhor, le vieux quartier tibétain qui entour le temple du Jokang. Je note ici et la une présence militaire et policière très forte. Pour la première fois, je voie en Chine des hommes en armes lourdes dans la rue, patrouillant ou en stationnement permanent à un croisement. Ils sont jeunes, prennent une solde misérable, et balancent ici et là des pétards pour célébrer dans le froid leur nouvel An à eux. Car ils sont tous Han…le nouvel an des tibétains lui, sera célébré un mois plus tard.
En achetant une boite de faux springles et une Lhasa Beer le tibétain nous invite à nous asseoir avec sa femme et un ami derrière son comptoir. Nous nous exécutons et buvons notre bière dans des petits verres à bai-jiu, je discute quelques instant avec eux en mandarin mais j’ai du mal à les comprendre avec leur accent tibétain ! En rentrant à notre hôtel ma main étreint celle de ma brésilienne, respirant les encens qui ne cessent d’enfumer les rues du Barkor, ce quartier sacré que le tibétains et les pèlerins de tout le pays viennent arpenter en tournant dans le sens des aiguilles d’une montre, toute au long de l’année, ennivrés de prières et d’encens. Dans ce froid sec nous marchons rapidement, saluons des soldats chinois, puis un tibétain enmitouflé dans son épais manteau traditionnel, pendant sur une épaule tout en gardant un bras dégagé pour prier et d’une main laisser glisser une perle de nacre sur son chapelet turquoise.
Le lendemain matin je me lève excité comme une puce, notre guide nous attend et nous partons en direction du Potala. La visite est intéressante car cette fois-ci je découvre l’ancien palais du Dalai-lama accompagné d’un guide tibétain. L’édifice architectural tibétain du XVIIe siècle, est situé en plein centre de Lhassa, sur la colline de Marpari (La colline rouge). Il fut construit par le cinquième dalaï-lama, Lobsang Gyatso et fut notamment le lieu de résidence principal des Dalaï-lamas qui lui succédèrent, jusqu'à la fuite de quatorzième Dalaï-lama en Inde après le soulèvement contre l'armée chinoise en 1959. Sous les caméras de video-surveillance nous parcourons ce lieu mythique, traversant des salles immenses, faites de haut-plafonds, de murs habillés de tentures centenaires supportant des poutres orange aux motifs variés. Là un masque mystique et maléfique repousse les mauvais esprits, ici un bouddha est protégé par des stupas dorés, ici l’ancienne salle d’étude du 14ème Dalai-lama, là, la chambre à couche du 5ème Dalai-lama. L’édifice est un labyrinthe que les tibétains sont nombreux à visiter, pour s’y prosterner dans ses moindre recoins, y apporter des offrandes ou ajouter du beurre de yack dans d’immenses vasques dorées faisant office d’encensoir.
A midi nous déjeunons dans un restaurant tibétain en plein fake Lhasa, nom donné par les tibétains au quartier chinois que les Hans ont érigé en 2 décennies, quadrillé de grandes avenues, ressemblant à n'importe quelle ville chinoise de province.
L’après-midi nous visitons le monastère de Drepung et le lendemain ce sera celui de Seri. Je ne m’étendrai pas sur ces visites pourtant fort intéressantes et riches en informations culturelles. Simplement ce ne sont pas les endroits où j’ai le plus vibré tant ils ont été, à mes yeux, vidés de leurs énergies positives et spirituelles durant la révolution culturelle, à peine 20% des effectifs d’origines sont tolérés par les autorités. Si bien que nous marchons dans d’immenses monastères, constitués de dizaines de maisonnettes et autres corps de bâtiments en tout genre, où nous ne croiserons que quelques poignées de moines. Triste sort spirituel pour les tibétains alors que d’un point de vue matérialiste la population profite grossièrement des biens faits de la modernisation.
C’est à Lhasa, dans le Barkor qui entoure le Jokang que je trouve l’essence même du Tibet. Une fois passés les barrages militaires qui encadrent les avenues de la capitale, j’emprunte la rue de mon hôtel pour arriver directement sur l’esplanade du Jokang, temple centenaire, véritable lieu de pèlerinage pour tous les tibétains. Comme la masse je marche autour du temple dans le sens des aiguilles d’une montre, saluant femmes et hommes tibétains aux gueules burinées par le rude climat du haut plateau. L’hiver est une période idéal pour visiter le Tibet car rares sont les touristes et à Lhasa affluent de nombreux nomades de tout le pays.
Gabriella et moi discutons intensément avec notre guide tibétain. C’est un homme jeune d’une grande sagesse et très engagé spirituellement. Nous parlons de tout les sujets, du Dalai-Lama, de la France, de la camaraderie franco-chinoise, de la vie en générale, d’Amour et d’argent. Il nous compte son passage de l’an dernier à Pékin, sponsorisé par un de ses clients, il y est allé pour étudier le français. Et puis les évènements de Lhasa de Mars 2008 l’ont obligé à rentrer chez lui. Un matin, deux policiers se sont présentés, lui demandant de rentrer au Tibet, parcequ’il est tibétain, quelques mois avant les Jeux de Pekin. Il n’a pas eu d’autres choix que de prendre le chemin du retour, après avoir reçu les excuses des deux fonctionnaires chinois, qui ne faisaient que leur métier. Notre chauffeur, lui, est un Han chinois. Comme beaucoup il est venu ici pour travailler, la vie étant trop difficile dans sa ville natale de Xian. Son père y est resté, il y a un emploi dans une usine d’état qui fabrique des médicaments. Mr Wang est arrivé au Tibet avec son frère et leur épouses il y a 9 ans. Depuis il est chauffeur pour touristes. Il ne parle que mandarin et ne s’intéresse pas vraiment à nous. L’entente est très bonne avec son compatriote d’ethnie tibétaine, il discute durant nos longs trajets de chose et d’autres, Mr Wang étant constamment préoccupé par le prix de tout ce qui fait son quotidien, une voiture, la bouffe, un service etc.
Le 4ème jour nous quittons Lhasa à 8 heures, je me lève en avance et file vers le Jokang, le cœur battant du Tibet, bien qu’encadré par les forces chinoises en tout genre: militaires, policières, paramilitaires ou civiles, il y règne une impression d’indifférence insolente de la part des tibétains, trop occupés à rendre grâce à leur culte religieux, pour le Salut de leur chef exilé, de leur identité culturelle et pour que sa spiritualité perdure et s’intensifie à l’approche du Nouvel An tibétain (fin Février). Je prends poste quelques minutes et j’attends, un regard, une manifestation quelconque, pourvu qu’elle soit figée par mon Nikon. Le temple est sans cesse lourdement enfumé par les cheminées d’encens qui gardent son entrée principale. C’est magique, je ne me lasserai jamais de cet endroit.
La route du sud qui file vers le Népale est magnifique, elle surplombe le Yarlung Tsampo, large rivière qui irrigue la vallée et offre un refuge idéal à des dizaines de colonies de canards à cols verts. Les tibétains ne mangent quasiment que de la viande de yack, c’est donc le paradis terrestre du canard. Vers 9 heures du matin nous stoppons la voiture quelques minutes près d’un cairn, Tenzin veut faire une prière aussi j’en profite pour me retirer quelques instants et prier à mon tour. Ce cairn rocheux surplombe la rivière que nous longeons depuis déjà une bonne heure. Il nous expliquera plus tard le concept du sky burial autrement dit le fonctionnement des funérailles tibétaines qui consistent à apporter le corps du défunt sur une esplanade rocheuse, le laisser à disposition d’un moine autorisé pour en dépecer le corps, l’offrir aux vautours et ainsi garantir l’envole de son âme vers des cieux radieux. J’avais assisté à une telle manifestation en 2002, grâce à l’entremise d’un professeur d’éthnologie russe basé en Corée et rencontré à notre hôtel. Désormais, en 2009 et en ces temps de tensions, nulle n'est autorisé à être témoin de ce type de céremonie. Nous reprenons la route et j’interroge de nouveau Tenzin sur un chemin que j’apercois partant en contre-bas et filant droit vers des sommets magnifiques, il m’explique que dans cette direction se trouve un monastère de nonnes tibétaines, à plus de 200 kms de là, à 3 jours de route.
Plus tard je remarque un pont en béton armé flambant neuf donnant accès à un modeste village, étonné j’interroge Tenzin de nouveau sur la raison d’un tel ouvrage pour un village dont les habitant se déplacent dans le meilleur des cas en moto ou en tracteur agricole. La réponse est claire et nette, c’est parce qu'au delà de ce village, à quelques heures de camion, se trouve une mine dont j’oublie la nature du minerais qu’elle procure mais force est de constater que le pont est large et solide pour que des camions puissent traverser la rivière et atteindre la mine en toute facilité.
Nous passons un premier col à presque 5,000 mètres d’altitudes en surplomb du lac Yamdrok. C’est un des trois grands lacs sacrés du Tibet. Le spectacle me couple le souffle, c’est tout simplement superbe, une eau turquoise et profonde moutonne tant le vent qui la gifle est puissant, le lac est entouré de montagne brunes pelées que des sommets enneigés dominent au loin, en direction du Mont Evrest. Je pourrais rester là des heures à admirer le paysage. Mr Wang stoppe la voiture sur le sommet d’une colline que la route permet d’atteindre, sorte de promontoire naturel. Plus tard nous parcourons le lac pendant une bonne heure, je sors avec Gabriella pour marcher quelques instants sur une plage de galets. L’eau est par endroits gelée, je ramasse quelques cailloux, tout est glaciale à cause du vent et malgré un grand soleil qui illumine les 72 km de long de cette eau turquoise sacrée et nourrie par de nombreux ruisseaux.
Notre prochaine étape est la ville de Gyantze, une fois arrivés nous stoppons la voiture en pleine rue pour emprunter une ruelle parallèle à l’axe principale qui mène au monastère de Palcho. Nous marchons joyeusement interpellés par de jeunes enfants qui nous prennent par la main, Gabriella est sous le charme de ces ptites gueules bridées toutes souriantes. En arrière plan se dresse le fort de Gyantse, qui dominent toute la ville, son monastère et son Kumbum, plus grand stupa du Tibet. Le monastère est un centre important de l’école Sakyapa du bouddhisme tibétain nous racontera plus tard Tenzin. Pour l’heure nous sommes sous l'enchantement de l’instant vécu. Dans cette ruelle les vaches paissent à même le sol, les bouses de Yacks sèchent sur les murs, les tibétains nous sourient et de là j’admire l’enceinte de la forteresse qui protège une large partie de la ville tibétaine historique telle une écharpe orange qui serpente sur la crête environnante, encerclant une large partie de la ville.
Nous terminons la visite du site, comme dans chaque monastère ça sent le rance, le beurre de yack, l’encens et tout est mal éclairé. De nos yeux nous profitons de bien des reliques, fresques murales et autres peintures représentant des bouddhas rouges et orange grandioses habillés de bleu et vert. Je suis étonné que l’Unesco n’ait pas encore classé ce site, car certaines des statues ou fresques murales ont tout de même plus de 8 siècles !
En fin de journée nous gagnons Shigatse, c’est la deuxième ville du Tibet après Lhasa, elle est située au confluent du fleuve Yarllung Gtsang Po qui est le nom tibétain du célèbre Brahmapoutre indien et de la rivière Nianchuhe. Shigatse abrite le monastère du Tashilhunpo, siège traditionnel du Panchen Lama et que nous visiterons le lendemain matin. Ici la population tibétaine fête le nouvel an en même temps que les Hans autant dire que la ville est déserte et que nous peinons pour trouver un restaurant convenable.
Je ne m’étends pas sur la visite du monastère du Tashilhunpo tant le lieu est à mon sens totalement dénudé de son caractère et de son énergie originels, les moines sont peu aimables, ils ne sont plus que 200 aujourd’hui pour population d’origine (avant 1959) de plusieurs milliers. Et puis comme chaque lieu important de la culture tibétaine, tout a été, durant de la révolution culturelle, saccagé, profané ou détruit.
La route du retour vers Lhasa est moins intéressante, les paysages sont plus monotones, les check-points militaires et les vérifications de permis de circuler répétitives et lassantes. Des heures durant je questionne Tenzin et échange avec lui sur bien des sujets, sont anglais est impeccable, il s’essaie au français avec quelques difficultés depuis sont passage à l’université de Pékin et il rit de mon accent français, lourdement supporté par Gabriella. Arrivés à Lhasa nous sommes invités à dîner chez Suzanne, mon amie tibétaine de 13 ans rencontrée à Pékin en 1996. Après une énième balade dans la Barkhor, le lieu des circonvolutions bouddhistes le plus populaire pour les pèlerins et les habitants de Lhassa, nous retrouvons une des sœurs de Suzanne devant l’entrée du Jokang. Elle nous conduit chez elles, dans le vieux quartier. Nous pénétrons dans une de ces innombrable court intérieure au centre de laquelle se trouve un point d’eau pour la vingtaine de familles qui vit là dans les bâtiments l’entourant. Sur un des balcons j’aperçois Suzane qui nous attends, je rencontre son beau-père, un homme de 75 ans qui vit ici depuis toujours et se lève chaque jour à 3h du matin pour partir méditer au Jokang. Nous ne sommes que tous les trois pour dîner, Suzanne, Gabriella et moi. Son mari rencontré en début de semaine est parti en expédition, la petite fille de Suzanne dort chez sa mère, ses sœurs sont ailleurs, occupées. Nous discutons en mandarin car Suzanne a perdu beaucoup de son français. En 13 ans c’est dingue ce qu’elle a changé, elle est devenue une femme, je ne retrouve plus la jeune étudiante tibétaine que j’avais connu à Pékin. Après nous être régalés de pomme de terre sautées, de légumes, de tsampa, de thé au beurre de yack en terminant sur un coca-cola glacé, nous saluons une dernière fois Suzanne que je gatte de la traditionnelle « hong bao » ou enveloppe rouge pour lui souhaiter un bon nouvel an chinois, et une toute proche nouvelle année tibétaine remplie de bonheur.
Pendant la nuit le froid hivernal envahit Lhasa la pieuse et ne la quitte pas tant que les premiers rayons matinaux n'effleurent la colline du Potala. En rentrant je raccompagne Gabriella à notre hôtel et reviens une dernière fois au Barkhor. Je me poste près du grand brûleur d'encens qui fait face à l'entrée principale du Jokang et laisse mes pensées divaguer, mon esprit observer et mes mains photographier ici et là au gré de mon envie. Dans le silence de la nuit les pèlerins continuent leur prosternations face au temple, en mode statique ou bien en rempant autour du Jokang dans le sens des aiguilles d’une montre. De son je n’entends que les frottements de leur acoutrements sur les dalles froides de l’esplanade du Jokang. Pas une parole, tous vivent leur foie par leur vie. Tous continuent de croire en ce vieil homme de presque 75 ans et dont le monde entier reconnaît le sourire derrière ses lunettes, habillé de sa robe pourpre. Ils sont tibétains, en phase avec eux même et indifférents à ce monde qui veut sans cesse remuer ciel et terre.
© Ambroise Mathey - Avril 2009